Cantona et la monnaie

Publié le par Jean-François Anquetil

Voici un article du journal Le Monde, écrit par Pierre-Antoine Delhommais

"Les attaquants vedettes de Manchester United ont toujours été de fortes personnalités. Ils n'ont pas seulement le génie du but, mais aussi celui de la provocation. De vrais "bad boys" comme on les aime. George Best, par exemple, lança un jour : "J'ai claqué beaucoup d'argent dans l'alcool, les filles et les voitures de sport. Le reste, je l'ai gaspillé."

Il y a un peu plus d'un mois, Wayne Rooney signait un nouveau contrat avec son club, contrat record qui a fait de lui le footballeur le mieux payé de la planète : 14 millions d'euros par an, 40 000 euros par jour. Peu de temps avant, le ministre des finances britannique George Osborne avait annoncé une cure d'austérité budgétaire sans précédent pour le pays, avec la suppression de 500 000 emplois publics et des coupes claires dans les dépenses sociales.

Erci Cantona, autre joueur culte des Red Devils, fait aussi beaucoup parler de lui depuis plusieurs semaines. Depuis qu'il a lâché ces mots, dans une interview vidéo publiée sur le site Internet de Presse Océan : "La révolution, aujourd'hui, se fait dans les banques. Tu vas dans la banque de ton village et tu retires ton argent. Et s'il y a vingt millions de gens qui retirent leur argent, le système s'écroule. Pas d'armes, pas de sang, rien du tout, à la Spaggiari."

Très vite, la communauté des internautes découvre cette nouvelle pépite "cantonesque" et se mobilise. Un appel est lancé pour que les gens retirent leur argent le 7 décembre, un site Web et un groupe Facebook sont créés et la vidéo d'"Eric the King" traduite dans plus d'une vingtaine de langues. Tous ceux qui veulent faire "péter" le système applaudissent aux propos de l'ex-footballeur. "Ce désir de révolution me plaît", commente Olivier Besancenot, le porte-parole du Nouveau Parti anticapitaliste, tandis que de mauvaises langues susurrent que certains des instigateurs du projet de "bank run" seraient proches de l'extrême droite. Les banquiers poussent des cris d'orfraie et plusieurs ministres taclent l'ancien joueur. Quant à Cantona, il confie à Libération : "Vue l'étrange solidarité qui est en train de naître, oui, le 7 décembre, je serai à la banque."

Espérons pour lui qu'il a loué une fourgonnette pour transporter tous ses sacs de billets, car on n'imagine pas qu'il ait travaillé bénévolement, depuis plusieurs années, pour vanter à la télé les mérites des rasoirs Bic, des chaussures Nike, des casinos Partouche, de Neuf Telecom, des thés Lipton, de la Laguna Renault ou des déodorants de L'Oréal.

Sans doute y a-t-il de la déception amoureuse chez nous (ce chef-d'oeuvre de lob qui vient se loger dans la lucarne droite du gardien de Sunderland). Sans doute sommes-nous tous très vieux jeu, mais nous avons toujours un peu de mal quand de purs produits du "système" vomissent celui-ci - le sommet ayant été récemment atteint par le chanteur Bono, l'ami des pauvres, et sa campagne de pub pour Louis Vuitton. Bref, entendre Cantona se réjouir d'un éventuel effondrement des banques, cela nous fait à peu près la même impression que si Lloyd Blankfein, le patron de Goldman Sachs, se lançait dans une croisade contre les inégalités salariales.

Il n'est pas sûr que l'appel au "bank run" connaisse le succès escompté par ses promoteurs. Et qu'il réussisse là où la faillite de Lehman Brothers, les défaillances de la Grèce et de l'Irlande ont pour l'instant échoué. Car un "bank run", par principe, ne se décrète pas, ne s'organise pas. Il se caractérise au contraire, comme toute panique, par son imprévisibilité et sa soudaineté. Par un complexe mélange de rationalité et d'irrationalité, sur fond de prophétie autoréalisatrice.

Il faut revoir le film de Walt Disney Mary Poppins et cette scène où M. Banks emmène son fils dans la banque où il travaille pour qu'il y dépose ses économies. Mais quand un des directeurs s'empare de la pièce d'argent du gamin, celui-ci se met à hurler pour qu'on la lui rende. Les clients présents, croyant que la banque ne peut plus payer, se précipitent alors aux guichets, au milieu des cris, pour retirer leurs avoirs, tandis que, dans la rue, se produit un début d'émeute.

Comme l'Allemagne l'a été par son hyperinflation, les Etats-Unis ont été profondément traumatisés par les épisodes de paniques bancaires qui ont eu lieu durant les années 1930. On peut même dire que le but ultime de la politique monétaire suivie par Ben Bernanke, le patron de la Réserve fédérale américaine, pendant toute la crise des subprimes, a été d'empêcher de nouveaux "bank runs", aux conséquences - là, Cantona a mille fois raison - dévastatrices pour l'économie. D'éviter que les déposants, n'ayant plus, à tort ou à raison, confiance dans leurs banques, vident brutalement leurs comptes, ce qui oblige celles-ci à liquider précipitamment leurs actifs en les bradant pour faire face à ces retraits.

Au lendemain de la tragique panique bancaire de la fin février 1933, qui avait conduit le gouvernement à fermer tous les établissements, Franklin Delano Roosevelt s'était efforcé, dans une causerie à la radio, de rassurer les Américains. En leur décrivant le plus simplement du monde le métier de banquier : transformer des dépôts à court terme en prêts à long terme.

"Permettez-moi de vous expliquer le simple fait que lorsque vous déposez de l'argent dans une banque, celle-ci ne le dépose pas dans un coffre-fort. Elle met votre argent au travail pour permettre aux rouages de l'industrie et de l'agriculture de continuer à tourner. Seule une petite portion de l'argent que vous déposez est conservée sous forme d'espèces, quantité qui, en temps normal, suffit largement à couvrir les besoins en liquide du citoyen ordinaire."

Pour les économistes Diamond Douglas et Philip Dybvig, qui ont étudié sous toutes les coutures les paniques bancaires, le meilleur moyen de les empêcher consiste à garantir convenablement les dépôts. En Europe, le seuil en sera prochainement porté à 100 000 euros. Ce qui reste, bien sûr, une misère pour un footballeur de Manchester United."

Question : Que pensez-vous de l'explication de F.D. Roosevelt ? Comment appelle-t-on cette opération ? Les dépôts font-ils exclusivement les crédits ? 

Publié dans Monnaie-Finance

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