Micro-crédit dans la tourmente

Publié le par Jean-François Anquetil

Voici un article de Julie Delabrosse, du magazine l'Expansion sur le micro-crédit. Cet article concerne principalement les CPGE2 avec lesquels je vais bientôt commencer le cours sur les stratégies de développement. 

Lisez-le attentivement, il nous servira à relativiser les conclusions d'un documentaire que nous verrons ensemble et qui parle d'une jeune indienne qui, grâce à un micro-crédit lui permettant d'acheter un téléphone portable, avait pu développer son entreprise et modifier favorablement sa vie ainsi que celle de son village). 

Retenez le nom de Mohammad Yunus, fondateur de ce mouvement, prix Nobel de la Paix en 2005. A l'origine, le micro-crédit n'était accordé qu'aux femmes ! ! ! ! Or, bien que l'article ne mentionne pas ce qui n'est pas un détail à mes yeux, il semble que le micro-crédit soit accordé aux femmes et/ou aux hommes depuis 2006. Peut-être y-t-il une causalité ? 

Affaire à suivre, je poursuis mon enquête...

Bonne lecture.

Le microcrédit, c'est quoi ?

Il s'agit de crédits accordés sur de petits montants, et de très courtes périodes, à des personnes qui n'ont pas accès aux prêts bancaires classiques. En raison de cette spécificité, les taux d'intérêts de ces crédits sont relativement élevés, de l'ordre de 30 à 70% par an en moyenne. L'idée, qui a été développée il y a plus de 40 ans, a principalement trouvé à s'appliquer dans les pays du Sud, où la majorité des habitants n'a pas de revenus suffisants ou de réelles garanties pour intéresser les banques traditionnelles. Grâce à la microfinance, les ménages les plus modestes bénéficient de prêts pour financer une activité. Avec ce système vertueux, où les plus pauvres peuvent se mettre à emprunter et même à épargner, l'activité se développe, et permet de réduire la pauvreté dans le monde. En 2006, le dispositif prend de l'ampleur et gagne en notoriété grâce au professeur Mohammad Yunus et sa Grameen Bank, créée en 1976 dans le but de proposer des prêts aux pauvres du Bangladesh. Cette année là, l'institution et l'économiste sont sacrés prix Nobel de la paix pour leurs actions dans la microfinance.

Qu'est-ce qui se passe en Inde ?

Depuis plusieurs mois, la microfinance indienne menace de s'effondrer. Cette industrie qui s'est énormément développée ces dernières années (+107% de croissance entre 2004 et 2009) pèse 6,7 milliards de dollars, et touche 80 millions d'Indiens. Depuis quelques mois les incidents de paiement ont commencé à mettre sous pression cette industrie florissante. Tout a commencé avec une série de suicides touchant des emprunteurs dans l'incapacité de rembourser. A la mi-octobre, l'Etat de l'Andrah Pradesh, qui concentre près de 30% de l'activité du secteur, et qui doit faire face à une plusieurs dizaines de suicides, décide que toute tentative de pression sur un emprunteur est passible de 3 ans de prison et d'une amende de 100.000 roupies (2.000 dollars). Le gouvernement de l'Andrah Pradesh espère ainsi mettre fin à l'explosion des microcrédits accordés sans discernement et au "harcèlement" supposé des emprunteurs. Mais ces mesures drastiques vont paralyser les institutions de la micro-finance. Par villages entiers, les emprunteurs décident de ne plus rembourser leurs crédits. Fin octobre, Vijay Mahajan, le président du réseau des institutions de microfinance, estime que l'industrie de la microfinance "menace de s'effondrer".

Qui sont les responsables de l'effondrement du système ?

D'une certaine manière, le dispositif a été victime de son succès. Comme dans les pays développés, les Indiens sont entrés dans la spirale infernale du surendettement. Au lieu de financer une activité économique, le microcrédit a fini par payer les achats de la vie courante, mais surtout à rembourser le crédit précédent... Résultat, de plus en plus d'Indiens se sont retrouvés dans l'incapacité de rembourser leurs emprunts. "Ce phénomène a été particulièrement visible en Inde, où la population est très endettée, et pas seulement auprès des institutions de microfinance, mais aussi auprès des usuriers qui pratiquent des taux très élevés pouvant aller jusqu'à 100% ", explique William Parienté, professeur à l'Université Catholique de Louvain en Belgique . Mais les institutions de microfinance (IMF) sont loin d'être irréprochables dans cette affaire. Pour répondre aux demandes toujours plus pressantes des investisseurs - qui se sont rués sur cette industrie en pleine croissance - certaines d'entre-elles ont commencé à multiplier les techniques pour vendre leur microcrédit, quitte pour cela à autoriser des "prêts croisés" très risqués. Dans l'impossibilité de mettre en place des moyens de recouvrement légaux, de plus en plus d'agents de microcrédit ont aussi développé des méthodes musclées pour atteindre les taux de recouvrement habituels de 90%, au dessous desquels les institutions sont moins rentables. En Inde, par exemple, les agents des IMF touchent 55 % de leur salaire sous forme de prime s'ils atteignent leurs objectifs de recouvrement. C'est l'un des reproches qui a été fait à SKS Microfinance, leader indien du secteur, qui a introduit 22% de son capital en Bourse le 28 juillet dernier, opération qui lui a rapporté 268 millions d'euros. En cinq ans, celle qui était une petite ONG est devenue un mastodonte de la microfinance avec 6,8 millions de microemprunteurs cette année, contre 200.000 en 2005. Les membres de la direction, qui disent vouloir sortir L'Inde de la pauvreté sont désormais rémunérés en fonction des performances boursières de l'entreprise...

Peut-on comparer cette situation aux subprimes ?

Dans les deux cas, des populations peu fortunées se sont retrouvées dans l'impossibilité de rembourser leurs crédits. Dans les deux cas, il s'agissait de crédits auxquels les emprunteurs ne pouvaient pas toujours prétendre. Dans les deux cas, cela a abouti à une multitude de mauvais crédits en circulation. Dans les deux cas, les organismes prêteurs ont multiplié les excès pour des questions de rentabilité. Mais la comparaison a ses limites. Aujourd'hui, le risque systémique des IMF est loin d'être démontré. Ces dernières parviennent toujours à se financer auprès des banques commerciales. "Actuellement, le plus gros risque serait que les initiatives politiques qui ont eu lieu en Inde aboutissent à une crise de confiance des emprunteurs à l'égard des IMF, c'est à dire qu'ils cessent complètement de rembourser leurs prêts. Ceci pourrait mettre en péril le principe même du microcrédit en Inde" explique William Parienté. Or contrairement aux subprimes justement, ce ne sont pas les crédits en eux-mêmes (émis à des taux fixes et non accolés au marché immobilier) qui sont néfastes, mais plutôt la multiplication de ces crédits auprès de populations difficiles à éduquer notamment sur le sujet du surendettement. " Contrairement à ce qui a pu être dit, la crise indienne ne s'est pas accompagnée d'une hausse manifeste des taux d'intérêts. Au contraire, la concurrence a plutôt eu tendance à peser sur ces taux", ajoute Baptiste Venet, professeur d'économie à Dauphine. En Inde, ces taux ne dépassent guère les 24% par an, alors qu'ils atteignent allègrement les 60 ou 80% au Mexique.

Quel avenir pour le microcrédit ?

Pour l'heure, l'avenir de la microfinance ne semble pas en péril. En effet, tant que les IMF arriveront à se financer soit auprès des banques, soit par des subventions, il n'y a pas de raison que le système s'écroule. Néanmoins, la crise indienne a fait ressurgir un certain nombre de questions relatives au développement tous azimut de cette finance des pauvres. Faut-il que les IMF entrent en Bourse ? Comment coordonner les actions des institutions socialement motivées, et souvent subventionnées, et celles des institutions guidées par des impératifs financiers ? "De nombreux théoriciens se sont penchés sur ces question, mais aucune réponse claire n'apparaît aujourd'hui", explique William Parriente. S'il est toujours subventionné le microcrédit pourra remplir des missions sociales, avec notamment une partie formation et éducation que certains considèrent nécessaire à l'enrichissement des populations les plus pauvres. Mais s'il s'autonomise, le microcrédit pourra aussi afficher des taux d'intérêts plus bas, qui permettront éventuellement à plus de personnes d'en profiter. Aujourd'hui, seules 150 à 250 millions de personnes dans le monde ont accès au microcrédit. Une grande partie de la demande n'est pas assouvie. Quoi qu'il en soit, une réglementation de ce marché paraît indispensable. "Pour éviter le surendettement, il faut obliger les institutions à vérifier la solvabilité de leurs emprunteurs. Il faut mettre en place des portails de la microfinance qui pourraient être coordonnés par les banques centrales, et grâce auxquels on pourrait interdire la multiplication de crédits", estime Baptiste Venet. Pour l'économiste, tout doit être fait pour sauver la microfinance "sans quoi, les dangereux usuriers reprendront leur pouvoir dans les campagnes..."

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