Le taux de change et le Big Mac

Publié le par Jean-François Anquetil

Pour déterminer la valeur d’un taux de change, c'est-à-dire le prix d’une monnaie nationale en monnaie étrangère, il y a deux méthodes.

La première est de demander à une autorité compétente (l’Etat par exemple…) de fixer le taux de change. Cette façon de faire fait partie des prérogatives de l’autorité dans un pays : de même que l’Etat peut fixer le prix du salaire minimum, ou qu’il peut fixer les droits de douane, il peut fixer le prix d’une unité de monnaie nationale exprimée en monnaie étrangère. Par exemple, lorsque le système monétaire européen fut décidé en 1978 (les accords de Brême) et créé en 1979, 1 FRF valait environ 0,333 DM. Le taux de change, ici exprimé au certain, est de 0.33333 DM. (NB : on peut aussi exprimer le taux de change à l’incertain c’est-à-dire en donnant le prix d’une unité de monnaie étrangère en monnaie nationale, soit 1 DM = 3 FRF)

L’autre méthode est de laisser jouer le marché, c’est-à dire laisser les demandeurs de la devise payer les offreurs de cette devise au prix qu’ils veulent. Dans ce cas, le taux de change n’est pas fixé, il fluctue au gré de l’évolution de l’offre et de la demande. Par exemple, si la monnaie nationale est plus demandée qu’elle est offerte, elle doit s’apprécier. La question se pose de savoir si ces deux méthodes fixent « le bon prix », c'est-à-dire le bon taux de change.

Les libéraux tels Milton Friedman, ou Friedrich Hayek estiment que le marché fournit un prix idéal car il reflète exactement ce que veulent les gens: que ce soit pour acheter un produit étranger, pour faire un placement à l’étranger, pour spéculer ou quoi que ce soit d’autre ; le marché reflète l’ensemble des décisions des acteurs, y compris leurs anticipations. Par conséquent, le prix du marché, en cristallisant toute l’information disponible est la meilleure façon d’indiquer comment allouer les ressources rares.

Ceux qui se méfient du marché, sans le rejeter totalement, sont plus sceptiques. Ils pensent que les agents qui interviennent sur les marchés sont parfois totalement irrationnels, moutonniers, et que, à court terme, les prix fournis par le marché sont parfois trop hauts, ou parfois trop bas. Bref le prix qui résulte de la confrontation entre l’offre et la demande peut-être non souhaitable. Ceux-là pensent que les autorités doivent intervenir sur les prix.

La réalité est souvent entre ces deux méthodes, surtout en ce qui concerne le taux de change. Dans le système monétaire international (SMI) les deux logiques coexistent. D’un côté les taux de change sont flottants (i.e c’est le marché qui fournit le prix), mais d’un autre, les autorités (les banques centrales principalement) interviennent sur ce marché pour tenter de corriger le taux de change lorsqu’il n’est pas jugé à son « bon prix ». Ces deux aspects font que les taux de change flottent, mais pas seulement au gré du marché. On dit que le SMI est un système de change flottant impur (dirty floating).

Comment être sûr que le taux de change entre les monnaies est un bon taux de change ?

Il existe une théorie, dite des pouvoirs d’achat, qui suggère que le bon taux de change est celui qui permet de garder le même pouvoir d’achat. Autrement dit, si dans un pays un bien A vaut 1 euro et que dans un autre pays un bien A’ vaut 2 dollars, et si l’on admet que les deux biens sont identiques ou presque (A = A’) on doit avoir 1 euro = 2 dollars. Autrement dit, le bon taux de change est celui qui permet au pouvoir d’achat de la monnaie d’être le même une fois convertie dans une monnaie étrangère. Ce taux de change (dit taux de change PPA) est théorique et il est calculé par les autorités monétaires. Dans notre exemple ultra simplifié, pour avoir le taux de change (ici, 2) nous avons fait A’/A. Dans la réalité, il suffit de remplacer le prix de A par le prix du panier de la ménagère. Par conséquent il suffit de diviser l’indice des prix étrangers (le panier de la ménagère étrangère) par l’indice des prix nationaux (le panier de la ménagère nationale) pour avoir le taux de change PPA. Mais d’aucun objecte que cette méthode est fallacieuse, car quand on regarde de près les biens de consommation qui composent le panier de la ménagère étrangère et ceux de la ménagère nationale, ils sont souvent différents. Le très sérieux Financial Time a pris en compte cette remarque, pour ne retenir qu’un seul bien : le Big Mac. Ce bien est standart, il est le même ou quasi le même à New-York, Hong-Kong ou Paris. Il s’agit de l’indice Big Mac.

 

Avec cette technique, si l’on sait que le Big Mac européen coûte en moyenne 3,44 € et qu’il vaut 4,07 USD aux Etats-Unis, on peut dire :

3,44 € = 4,07 USD

Donc 1 € = 1,18 USD

 

Le taux de change PPA serait donc de 1,18 USD. Or le taux de change tel que le marché le fournit est environ de 1€ = 1,43 USD. On peut déduire de cette différence de prix que l’euro est surévalué par rapport au dollar, puisque 1 € achète plus de dollar (1,43) qu’il ne le devrait pour avoir le même pouvoir d’achat (1,18). Ou encore, puisque le prix d’un Big Mac en France (exprimé en dollar) est de 4,93 USD (3.44€ * 1.43 USD), prix supérieur de 21% à celui des Etats-Unis (4,07), on peut dire qu’il est plus cher de 21% environ.  

http://fr.wikipedia.org/wiki/Indice_Big_Mac.

 

Cependant, les journalistes de The Economist font remarquer que le prix du Big Mac dépend du niveau de développement du pays.

 

Big-mac-pib.PNG

 

Un Big Mac dans un pays pauvre est moins cher qu’un Big Mac dans un pays riche : les coûts salariaux y sont plus faibles car, dans les pays riches, lorsqu’on consomme un bien ou un service, on paye aussi de la sécurité sociale, et (parfois) de la sécurité environnementale. Par conséquent faire le rapport des prix entre les pays n’a pas de sens. Plus judicieux est de faire le rapport entre le prix du Big Mac dans un pays et son revenu moyen (To estimate the current fair value of a currency we use the “line of best fit” between Big Mac prices and GDP per person.). Autrement dit, pour mesurer le prix du Big Mac, on fait la différence entre le prix nominal du Big Mac et son prix théorique tel qu’il devrait être, compte tenu du revenu moyen du pays. Avec cette méthode, les résultats sont les suivants :

 

big-mac-index.PNG

 

 

On constate que l’euro est bien surévalué par rapport au dollar, mais aussi que le Yuan, contrairement à ce que soutiennent les américains, est à son prix face au dollar, et qu’il n’est pas sous-évalué.

 

Question : en quoi est-ce intéressant pour un pays d’avoir une monnaie sous-évaluée ? 

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