La panique des marchés financiers est-elle justifiée ?

Publié le par Jean-François Anquetil

C'est une problématique qui est au coeur du programme de l'AEHSC que de se demander si les marchés allouent correctement les ressources rares. Ce problème est fondamental car nous sommes dans des économies de marché, et si les marchés font n'importe quoi (i.e allouent les ressources de façon non-optimale), il conviendra de donner plus de pouvoir à l'autre méthode d'allocation des ressources à savoir l'autorité (l'Etat), ou du moins que cette autorité oriente les marchés dans une direction jugée plus souhaitable plutôt que dans une autre. Tout dépend bien sûr de l'analyse des marchés que l'on fait, les débats ne sont pas clos sur ce point.

Le billet suivant est inspiré d'un article du monde daté du 7 août, article intitulé : La panique des marchés financiers est-elle justifiée ? 

Des questions sont posées à Henri Sterdyniak, économiste à l'OFCE, et Shahin Vallée, membre invité du Centre Bruegel à Bruxelles et économiste chez BNP Paribas. J'ai gardé les réponses de ces éminents économistes, et j'ai ajouté les miennes.

Voici l'article remodifié : 

 

LES MARCHÉS BOURSIERS en Europe ont poursuivi, vendredi 5 août, une glissade provoquée par la crainte de la faillite d'un Etat de la zone euro et d'une rechute de l'économie mondiale. La panique des investisseurs semble devenue incontrôlable. Est-elle exagérée ? Henri Sterdyniak, économiste à l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), Shahin Vallée, membre invité du Centre Bruegel et économiste à BNP Paribas, et Jean-François Anquetil, professeur d'AEHSC en CPGE divergent sur le rôle des marchés.

 

 

Une telle " purge " est-elle justifiée ?

 

Henri Sterdyniak : Les marchés sont entraînés dans un mouvement " auto-validant ", à mon avis totalement injustifié. Il était normal, après la récession, que les déficits publics augmentent. Cela n'avait pas provoqué de hausse de l'inflation et la bonne stratégie était d'attendre le retour de la croissance pour les résorber.

Mais les marchés ont fait pression pour la mise en place de politiques d'austérité. Ils ont mis les gouvernements dans des situations ingérables. Soit ils adoptaient des politiques de rigueur et les investisseurs se plaignaient de l'absence de croissance ; soit ils soutenaient l'économie et c'est l'augmentation des déficits qui était sanctionnée.

Finalement, ce sont les investisseurs qui ont provoqué la crise de la dette dans la zone euro en augmentant de manière abusive les taux d'intérêt des emprunts souverains de pays périphériques - Grèce, Italie, Espagne... - . Les marchés sont pris dans une panique moutonnière et empêchent l'économie de fonctionner.

 

Shahin Vallée : Oui, cette réaction est justifiée en partie. Nous sommes dans une zone monétaire imparfaite, les investisseurs testent la volonté politique de faire aboutir cette union. Or, ils restent face à des doutes.

L'Italie a cristallisé les inquiétudes, car son programme d'ajustement fiscal n'était pas à la hauteur. Mais elle n'est sans doute, au même titre que l'Espagne, qu'un bouc émissaire. Le problème est plus général. Les marchés sanctionnent l'absence de prêteur en dernier ressort, c'est-à-dire la présence d'une autorité monétaire à même de servir de soutien aux Etats en cas de panique. Aux Etats-Unis, c'est la Réserve fédérale (Fed) qui remplit cette fonction. En Europe, la Banque centrale (BCE) a très bien joué ce rôle de préteur en dernier ressort pour les établissements financiers pendant la crise, mais elle s'y est largement refusée pour les Etats.

On essaie, aujourd'hui, de rafistoler le Fonds européen de stabilité financière (FESF) pour endosser ce rôle, mais il n'en a pas - encore - la capacité, et cette approche devra inévitablement être complétée par une nouvelle architecture pour la gouvernance économique dans la zone euro

 

Jean-François Anquetil : Je partage l'avis de Shahin Vallée, la réaction des marchés est justifiée en partie. Il faut bien comprendre que les marchés ne sont pas des personnes, ils ne pensent pas, ils n'ont aucun projet, ils ne sont que le reflet de ce qu'anticipent ceux qui décident d'allouer des fonds ici, plutôt que là. Or, ces décideurs, ces individus voient bien qu'il y a un problème dans la zone euro : économiquement c'est devenu un espace économique intégré puisqu'il y a une même monnaie, mais politiquement c'est encore une somme de souverainetés nationales. L'euro est la même monnaie pour les allemands que pour les grecs, les prix y sont exprimés dans la même monnaie, y compris les dettes souveraines. Une monnaie unique, dans un marché unique devrait donner un prix unique. Or ce n'est pas la cas : des produits de consommation courante identiques ou quasi-identiques ont des prix différents, sans parler des différences de taux d'intérêt. C'est une contradiction majeure, qui rend les décideurs méfiants surtout en période de crise, et ces décideurs sont le marché. Après, il est vrai qu'il y a des mécanismes auto-référentiels comme le dit Henri Sterdyniak. Les ventes d'actifs provoquent une baisse des prix, la baisse des prix provoque les ventes etc... Mais lorsque les fondamentaux sont bons, ces mécanismes moutonniers sont limités et ne sont pas la cause des maux. Shahin Vallée parle de la nécessité de créer une nouvelle architecture en Europe, je suis d'accord. J'ajoute que cette architecture doit être fédérale. Depuis 1951, date de la création de la CECA, la méthode pour créer l'Europe fut d'empiler des boites techniques sur des boites techniques : la CECA, EURATOM, la PAC, le Serpent Monétaire Européen, puis le Système Monétaire Européen, puis Maastrich etc... Et enfin la monnaie unique, l'euro. Cette dernière oblige les Etats à aller vers les Etats-Unis d'Europe, puisque chaque Etat n'a plus de marge de manoeurvre dans la mise en place des politiques économique en raison du triangle des incompatibilités de Mundell. Le problème est que les Etats veulent bien des Etats d'Europe unis mais ne veulent pas des Etats-Unis d'Europe. Toute la contradiction est là, et c'est cette contradiction finalement que sanctionnent les marchés.

 

Le problème n'est-il pas plutôt lié à l'économie américaine ? 

 

H. S. : Les marchés s'inquiètent de la situation de l'économie mondiale, certes. Mais étant donnée la mauvaise organisation de la zone euro, cela a des conséquences tout à fait tragiques sur l'Union européenne. Les défaillances de la zone euro sont portées au grand jour par la vigilance excessive des marchés. C'est ce qui crée le drame aujourd'hui. Dans un monde où les marchés financiers ont une telle importance et sont en permanence à l'affût, on ne peut pas se permettre d'avoir un système mal organisé.

 

S. V. : Chacun se renvoie la balle. Les Américains disent : " Le problème, ce n'est pas nous mais la zone euro ", tandis qu'en Europe on met en avant la faiblesse de la croissance américaine et mondiale pour justifier la crise du surendettement des Etats. La réalité est double, les deux phénomènes se conjuguent et il est délicat de les décorréler. Sans croissance, on perd un outil naturel pour gommer les dettes, mais la zone euro est aussi confrontée à un problème politique profond.

 

J.F.A : La crise américaine n'arrange rien il est vrai. Mais qu'une crise, ou qu'un détonateur de crise soit américain, chinois, ou japonais ne change rien au problème de la zone euro. 

 

La chute des marchés peut-elle se poursuivre ? Comment l'endiguer ? 

 

H. S. : Au bout d'un moment, certains opérateurs estimeront que les marchés ont tellement chuté qu'ils ne peuvent que remonter. Logiquement, il devrait y avoir un mouvement de balancier dans les jours à venir.

Quant au moyen de stopper la panique, il n'y a, à mon avis, que des solutions extrêmes. Soit on laisse les monnaies flotter les unes par rapport aux autres - autrement dit, on accepte un éclatement de la zone euro. Soit on refuse de laisser les marchés spéculer sur les différences entre les dettes des pays, on supprime alors les dettes nationales pour les fusionner en créant des " euro-obligations ".

 

S. V. : On n'en a sans doute pas fini avec la baisse des marchés. Il faut encore que les économistes achèvent d'ajuster leurs prévisions de croissance à la baisse. Pour les Etats-Unis, on est parti d'un pronostic de hausse de 3 % du produit intérieur brut (PIB) en 2012. Si on arrive à 1 %, on sera chanceux... Quant à l'Europe, si l'on tente de trouver une solution qui ne vise que l'Italie ou l'Espagne, on n'aura rien réglé. Il faut aller plus loin. Je pense, j'espère, qu'on se rapproche d'une solution.

 

J.F.A : La chute peut se poursuivre durablement, du moins sur les marchés des actifs financiers. On va assister à un transfert des ressources vers les matières premières (dont l'or qui connait une flambée historique), vers l'immobilier, et le foncier en général. Faut-il endiguer la chute des marchés me demandez-vous ? Oui, bien sûr, mais tout dépend de quelle façon vous voulez le faire. Certains veulent détruire les marchés, ou du moins leur donner une place marginale, locale. C’est idiot. Quand on est malade on peut casser le thermomètre, cela ne sert à rien. Il est beaucoup plus malin de faire un diagnostic correct et faire ce qu'il faut pour que la température baisse. Il faut endiguer les marchés en prenant les bonnes mesures politiques. Je crois que cette crise peut être une opportunité en Europe. Il a fallu 50 ans pour qu'on passe de l'Europe économique à l'euro, il faudra 50 ans pour qu'on passe de l'euro à l'Europe politique. Et ce processus se fera avec des accélérations en période de crise comme c'est le cas actuellement. 

 

Question : Quels sont les indices qui montrent que l’Europe n’est déjà plus la même dans son fonctionnement économique qu’en 1999 ? 

Publié dans Europe

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